Chapitre II – Survol historique

Xe SIECLE : JUZIERS ENTRE DANS L’HISTOIRE

Le Xe siècle marque un vrai tournant dans l’histoire de Juziers. Flodoard, chroniqueur et hagiographe* de cette époque, cite sous l’année 922 de nombreux miracles accomplis dans l’église de Saint-Pierre au village de Gesedis en Parisis.
C’est avec la Comtesse Letgarde que commence l’histoire de Juziers. Née en 915, elle va jouer un rôle capital sur la destinée de ce village. Par son père Herbert II, comte de Vermandois, elle descend en ligne directe de Charlemagne. Cf : généalogie de Letgarde dans le livre

La mère de Letgarde, Hildebrand, est la  propre fille de Béatrice de Vermandois et de Robert, comte de Paris qui devient Robert Ier roi de France.  Elle est aussi cousine d’Hugues Capet. Elle passe une partie de son enfance dans la résidence habituelle de ses parents : la forteresse de Saint-Quentin et très tôt apprend avec son père les rouages de la politique.

Letgarde duchesse de Normandie

Letgarde épouse en 935 le duc de Normandie  «Guillaume Longue Epée» le propre fils de Rollon, Il lui offre en douaire* Longueville (Isigny) Coudres et Illiers-l’Evêque tandis qu’Herbert II, son père en avance d’héritage, lui donne Juziers, Issou, Limay, Fontenay, au nord de la Seine et Mantes la Ville, Auffreville et Arnouville au sud. De ce mariage, Letgarde n’a pas d’enfant.

En 942, à Picquigny (Somme) Guillaume de Normandie est assassiné sur ordre du beau frère de Letgarde, Arnould, le comte de Flandre. La Cathédrale de Rouen conserve le gisant de Rollon et celui de son fils.
Letgarde se retire sur les terres que son mari lui avait réservées en douaire.

Gisant de Guillaume

Letgarde comtesse de Chartres

Veuve à 27 ans, Letgarde épouse en secondes noces (943) un de ses proches voisins, Thibaut, comte de Chartres, de Blois et de Tours, âgé de 30 ans, surnommé le Tricheur. Letgarde vit au château de Chartres et donne naissance à trois garçons et deux filles : Thibaut, Eudes, Hugues, Emma et Hildegarde.
Letgarde et Thibaut établissent judicieusement leurs enfants. Eudes, à présent l’aîné, promis à la succession, épouse Berthe, fille de Conrad roi de Bourgogne, Hugues sera archevêque de Chartres, Emma épouse le comte de Poitiers, duc d’Aquitaine et la plus jeune, Hildegarde entre dans une famille au destin illustre, les Bouchard de Montmorency. En 975 Thibaut s’éteint à l’âge de 62 ans.
Comtesse douairière, grand-mère comblée d’une nombreuse descendance, Letgarde songe à assurer dans l’au-delà, son bonheur et celui des siens en effectuant plusieurs donations. A l’abbaye  Saint-Martin de Tours d’un bourg et de plusieurs fermes aux environs de Provins, à l’église de Mantes des terres d’Issou, Mantes la Ville, Auffreville et Arnouville.
Le 5 février 978, elle donne Juziers, Fontenay et Limay à la grande abbaye Saint-Père-en-Vallée de Chartres abandonnant ainsi ses droits féodaux aux abbés.

Voici le texte de cette charte :

La Providence de Dieu, qui est si merveilleusement louable, et toujours si louablement admirable, prévoyant, pour la distribution de ses biens, dès le commencement du Monde, que tous ceux qui seront rachetés au prix de son sang, et lavés de la faute originelle par l’ablution des saintes eaux baptismales, ne pourraient après tant de faveurs, se conserver une seule journée sans tomber dans le péché, ni se soustraire à la corruption de la nature humaine, a. donné plusieurs remèdes pour le salut des âmes, par le moyen desquels nous n’évitons pas seulement ce que le vice comporte de danger, mais même nous acquérons les biens et la joie de l’immortalité.

Parmi ces remèdes, l’aumône généreuse est d’une grande efficacité ; non seulement elle est approuvée par l’autorité de bien des Sts Pères, mais même louée par la bouche du Seigneur, quand il dit : « Remettez, et l’on vous remettra » et « Tout ce que vous ferez au moindre de mes pauvres, c’est à moi que vous le ferez». Sur ces pensées, le Sage dit que « la rédemption de son âme, c’est la propre richesse de l’homme » et ce trait : « Donnez l’aumône, et vous serez purifiés ». Bien des passages semblables se rencontrent à propos de l’aumône, et l’on n’en sortirait jamais si on les voulait tous rechercher.
Instruite de telles leçons, j’ai reconnu que les Pères de l’Eglise ont approuvé la dévotion des fidèles qui ont enrichi l’église de Dieu par leurs présents, pour subvenir à ses besoins, en lui donnant le revenu de quelques possessions terriennes, par le moyen desquelles elle est embellie et ornée par toute la terre, ce qui donne aux fidèles grande joie et satisfaction.

C’est pourquoi, moi, Letgarde, animée par l’Esprit Saint de telles pensées dans le secret de mon cœur, et de tels exemples, j’ai résolu de faire l’Eglise de Dieu héritière de quelques-unes de mes possessions. Et considérant que Dieu a donné à St-Pierre apôtre la puissance de délier et de lier, en lui disant : « que tout ce qu’il délierait ou lierait sur terre serait délié ou lié au Ciel » j’ai pensé et jugé que je ne pouvais mieux faire pour mes péchés que de m’adresser à celui qu’a tant aimé Notre Seigneur. Donc, tant pour obtenir pardon de mes iniquités que de celles de mon très noble seigneur, le glorieux Comte Thibaut, et pour qu’il plaise à Dieu de faire rémission des péchés de mes enfants, qui consentent à mon dessein, le très honorable Hugues, archevêque, et son Excellence le Comte Eudes, je donne à l’Abbaye St-Pierre de Chartres une église, dédiée à Pierre, prince des apôtres et porte clefs du Ciel, sise au lieudit vulgairement Juziers, avec la villa appelée du même nom de Juziers, avec seize manses, tous les champs cultivés et non cultivés, les maisons d’hôte (hospicia), les prés, les vignes, les eaux et les cours d’eau ; de même, en un autre endroit appelé Fontenay, la juridiction, l’église avec toute la juridiction que j’y ai, les gens des manses, les vignes, et tout ce qui en dépend ; de même, dans un autre endroit, que l’on appelle en langue paysanne Limais, je donne tout ce qui m’appartient. Les biens que je viens de dire sont au pays du Vexin, sur la Seine ; je les donne tous, comme on l’a déjà écrit, et je veux qu’ils soient donnés pour toujours, pour l’éternité.
Si quelqu’un – à Dieu ne plaise – voulait ou tâchait de casser ma présente donation, ou même en voulait faire quelque modification, qu’il encourre sans ressource l’indignation de Dieu, et s’il ne reconnaît pas aussitôt sa faute, qu’il soit tourmenté et supplicié en enfer, où le ver qui ne meurt pas le rongera sans cesse, et le feu, qui ne s’éteint jamais, le consumera toujours.

Pour que cette donation conserve inviolablement sa validité, je l’ai signée de ma propre main, et j’ai voulu qu’elle soit confirmée par la signature de mes vassaux. Et au bas du document, j’ai voulu qu’on spécifie que si c’est pour le salut de mon âme que je donne les biens ci-dessus aux moines qui servent le Christ et le bienheureux apôtre Pierre, c’est aussi pour le salut de l’âme de mon père, Herbert, comte de Troyes, qui m’a donné et concédé ces biens à titre d’héritage

Eudes, comte                                                                              Uchert

Hugues, archevêque de la sainte église de Bourges                 Fulcher
Eudes, évêque de Chartres                                                   Teudon
Letgarde, comtesse, qui a fait cette donation                     Widger
Emma, comtesse de Poitiers                                               Erembert
Landry                                                                               Hugues de Aloia
Hilgaude                                                                            Geldouin
Sugger                                                                                Avesgaud
Ardouin                                                                               Isaac

Don à l'Eglise

A cette donation de notre Mère, moi, Hugues, archevêque primat, et moi, Eudes, comte fortuné, nous avons donné notre accord, pourvu que chaque jour sauf les féries, soit chanté à notre intention, à l’office de Mâtines, le Psaume « Inclina, Domine, aurem tuam » par les Frères du lieu cité ci-dessus ; et après notre mort, au jour de notre décès, l’office, avec antiennes et répons, coupé des lectures habituelles, avec célébration d’une Messe très solennelle. Les frères, ce jour là, ayant ainsi peiné pour nous, auront un menu plus substantiel en nourriture et en boisson. Que jamais ne tombe en désuétude cet usage de faire mémoire de nous, alors que tous deux, nous, frères, nous continuerons à vivre, de génération en génération, devant Dieu et devant St-Pierre, perpétuel gardien et protecteur de ce lieu.

Donné le jour des nones de février, la vingt-quatrième année du règne du roi Lothaire, sous la protection de Dieu.

NB. Traduction du XVIIIe s. Arch. Départ. Versailles 23.H.I corrigée sur texte latin Arbois de Jubainville Les Comtes de Champagne T.I . p. 456

Cf. :étude de la charte dans le livre

Letgarde décède le 14 novembre 981, elle est inhumée dans l’abbaye Saint-Père-en-Vallée de Chartres avec pour épitaphe :

«Ci gît la Comtesse Letgarde, illustre en son temps,
que Dieu lui donne au bienheureux séjour la couronne éternelle
qui hors de ses blasons opposés, ne se pourra jamais ensevelir».